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Quelques réflexions sur les taux bas

 

La décision de la Fed de ne pas encore remonter ses taux a déjà fait couler pas mal d’encre. Et elle a eu une autre conséquence : elle a décidé Bill Gross à écrire sa lettre mensuelle d’octobre une semaine en avance et en entrant directement dans le vif du sujet sans passer pas ses habituelles digressions. Il faut dire que M. Gross avait déjà évoqué les effets néfastes d’une politique prolongée de taux bas. Madame Yellen et ses collègues lui ont donc fourni une bonne occasion d’exposer ses griefs plus en détail.

La bonne question à se poser pour commencer est de savoir combien de temps cet environnement de taux bas pourrait perdurer. Une piste se trouve dans les 463 pages de l’ouvrage de Carmen M. Reinhardt et Kenneth S. Rogoff dont on avait beaucoup parlé en 2009, « This time is different ». Bill Gross y a trouvé un élément de réponse, à savoir que le dernier cycle de taux réels bas s’est étalé de 1930 à 1979. Soit 49 années durant lesquelles l’investisseur obligataire a été rémunéré en moyenne 1.5% en-dessous du taux d’inflation.

 

Le propos de la lettre mensuelle de M. Gross n’était certainement pas d’assommer le lecteur avec des calculs. Néanmoins, si l’on s’attarde quelques secondes sur ces chiffres et qu’on se rappelle que le taux d’intérêt réel est égal au taux nominal moins l’inflation, ce qui – dans des conditions où cette différence est positive – garantit une progression du capital (donc du pouvoir d’achat de son épargne), on ne peut qu’en déduire que la situation vécue de 1930 à 1979 a fait se déprécier la valeur du capital épargné. De combien ? Environ 50%. Voilà un chiffre qui fait réfléchir.

 

Cette dernière assertion est-elle vérifiée par un quelconque modèle ? Non, seule l’expérience japonaise sur les dernières décennies pourrait fournir des pistes de réflexion sur cette problématique. Néanmoins, pour Bill Gross, des taux à 0% détruisent le modèle capitaliste en réduisant l’épargne et in fine l’investissement qui devrait en découler. Alors que, dans un contexte de taux zéro, les entreprises pourraient aisément s’endetter afin d’investir dans l’économie réelle, elles ne l’ont pas fait. A la place elles ont investi dans l’économie financière en rachetant leurs propres actions. Une situation qui devrait par ailleurs perdurer, tel que confirmé par Randel Freeman, CIO de Fortress Investment Group, lors de la conférence organisée hier à Genève par Appletree.

 

 

 

 

 

 

 

Taux US 10 ans – source : US Department of the Treasury

 

Qu’en est-il actuellement ? Les taux sont à zéro et l’inflation (officielle) à peine plus élevée. Depuis fin 2008 cette politique a effectivement eu des effets très positifs sur le prix des actifs financiers et a permis la stabilisation du système bancaire international. Comme le remarque encore Bill Gross dans sa lettre, les banquiers centraux ont regardé leurs modèles macro-économiques et ont pris les décisions permettant à l’économie de garder la tête hors de l’eau… à court terme. Car à plus long terme, ces choix font baisser la croissance économique.

Plus grave encore, les politiques de taux zéro détruisent des modèles existants, comme celui des sociétés d’assurance vie ou des fonds de pension. Et cette foi, M. Gross nous livre quelques chiffres. Les hypothèses usuelles de ces sociétés sont qu’à long terme un portefeuille balancé rapporte 7 à 8%. Dans le contexte actuel où la partie obligataire des portefeuilles ne rapporte que 2 à 3%, ce type de rendement ne peut être atteint que si la part investie en actions rapporte en moyenne 10%. Un niveau qui sera probablement de plus en plus difficile à atteindre si l’on se rappelle que ces sociétés n’ont pas profité des taux bas pour investir mais ont plutôt choisi de racheter leurs propres titres.

Dès lors, la population d’épargnants a effectivement des raisons de s’inquiéter si les taux restent trop bas trop longtemps car le système de pension en sera une des principales victimes. Thomas Samson, gérant crédit pour Muzinich & Co et également orateur à la conférence Appletree a d’ailleurs évoqué qu’en Europe on estime que 2 à 2.5 trillions d’actifs font face à des rendements négatifs découlant de la politique actuelle des banques centrales. Bill Gross se base évidemment sur le modèle américain, mais force est de constater que les caisses de pension suisses ne se trouvent pas non plus dans une situation particulièrement réjouissante.

On comprendra dès lors aisément l’appel de M. Gross de relever rapidement les taux, même si ce sera douloureux à court terme car l’on s’évitera ainsi un mal bien plus grand à horizon plus éloigné.

Publié par Investir-funds.ch